J’ai longtemps pensé que l’écriture était un monde dans lequel je ne pouvais entrer. Pour y avoir accès, me semblait-il, il était préférable d’être vieux et fallait maîtriser les antonymes, les synonymes, les figures de style, les arguments, les mystères du raisonnement sans oublier la forme et la ponctuation. Il fallait être structuré, être savant, être un génie.
Je ne parlais qu’avec les rudiments du langage. J’avais grandi avec une soeur jumelle; même sans mot, nous nous comprenions. Puis, on nous a séparées. Alors je rêvais. Je rêvais le jour. Et la nuit. Je m’évadais. Je grimpais à une échelle de bibliothèque et parcourais des milliers d’ouvrages une lampe à huile à la main. Je n’avais rien dans la main. Rien que mon imaginaire.
Je pris alors un baluchon et partis pour le théâtre. Là, enfoncée dans un fauteuil rouge velours et l’envie de bondir sur un plateau, je pouvais entendre et parler toutes les subtilités de la langue française. Je décidais d’y rester longtemps, assez pour découvrir tout un tas d’auteurs et de pensées.
L’obscurité des murs, les craquements des fauteuils et la poussière des rideaux me poussaient à croire que j’étais désormais libre de laisser entendre, dépoussierer et mettre en lumière les idées qui m’avaient fait fuir ma réalité.
Des mots prenaient toute la place dans mon cerveau. Je les notais sur des bouts de papier. Ils n’avaient que faire des règles et des bonnes manières. J’ai alors fabriqué un texte pour le théâtre. Je pensais alors avoir tout dit.
Mais des tas de mots, comme des oisillons qui sortent de leur coquille, ouvraient leur bec et me forçaient à écrire. Je devins alors obsédée, névrosée, à l’idée même de perdre du temps, dans l’impossibilité de mettre un terme à cette course contre le temps qui passe ou celui qu’on me retire pour gagner de l’argent. N’être plus qu’un chiffre qui rapporte à une société me hantait jusque dans mon lit.
En moi, les mots se déchiraient, se bousculaient. Un sentiment profond me poussait à reprendre le processus d’écriture qui fascine, métamorphose et transcende les Hommes.
Je veux écrire. Je veux parler de l’égalité. Je veux croire que les filles, les femmes et les dames ont le droit d’accomplir de grandes choses.
Je veux changer le regard des unes et des uns sur les autres. Je veux dire ce qui m’importe, ce que je souhaite pour les générations futures.
Et laisser une trace comme un objet artistique, une position proactive, un regard extrasensible, une arme féminine, une rencontre fortuite, un engagement politique, une conviction intimement profitable à poser sur table.
Le laboratoire du centre de procréation médicalement assistée. C’est là que ma vie a commencé. J’ai été désiré et crée artificiellement. L’homme a scientifiquement été capable de me programmer à l’extérieur du corps de ma mère. Je suis né ainsi. Maman dit que je suis aussi comme toi, un miracle de la vie. Mais suis-je vraiment un enfant comme un autre?
Mon choix s’est porté sur un sujet qui pique qui gratte qui irrite.
L’envie soudaine me prit de me mettre à la place de l’enfant, celui qui fut au coeur du débat débattu dans la rue, les journaux, sur les plateaux télé, à l’assemblée.
Cet enfant dont l’existence est contestée, controversée par des qui, qui se donnent le droit de dire qui a ou qui n’a pas le droit d’exister.
À mon petit garçon, je veux lui prêter des mots de grands et de petits pour raconter qui il est et aussi ce qu’il devient, ce qui lui appartient et ce qui le tient à part, ce qui le nourrit enfin, ce qui l’habite, ce qui le définit.
Les révoltes, les menaces, les infamies, la violence, les insultes sont toujours inscrites, sont toujours latentes. Mon enfant, lui, n’a aucune idée de ce monde hostile dans lequel il évolue, encore protégé, préservé par l’amour, la bienveillance, son innocence, sa pureté.
Mi-femme, mi-enfant, mi-ange, mi-démon, Ptite Rose vient dévoiler une parole intime, l'amour d' une femme pour une autre, les désirs enfouis, la part mystérieuse de nous-mêmes.